Lors d’une navigation de plusieurs jours, les activités à bord ne manquent pas. Celles qui se font obligatoirement en journée, comme les prélèvements de microplastiques ou d’ichtyoplanctons. Et celles, qui peuvent se dérouler de jour comme de nuit : barrer, manœuvrer, entretenir le bateau, prendre la météo, faire le point, manger, dormir, ranger et nettoyer. C’est pour cela que la vie à bord doit s’organiser selon un principe de roulement, appelé « le quart ».
À bord de Wije Blick II, nous avons décidé de fonctionner en binôme et d’alterner entre un « quart » d’une durée de 3h pendant lequel on s’occupe de la navigation, des manœuvres et autres tâches quotidiennes et d’une période de repos d’une durée de 4h30.
À noter que chaque binôme est assez libre, pendant son quart, dans le choix des tâches « collectives » qu’il souhaite effectuer. Cela peut dépendre du moment de la journée, des conditions de navigation, mais surtout des envies de chacun. Certains affectionnent nettoyer la salle de bain à 2h du matin, quand d’autres préfèrent faire la vaisselle en début d’après-midi. L’essentiel c’est de faire le moins de bruit possible pour ne pas réveiller les équipiers qui sont au repos – passer l’aspirateur dans le carré à 4h du matin est clairement à proscrire.
Le déroulement des quarts de nuit vous est raconté ci-dessous par la Cheffe de Bord.
La préparation
C'est généralement aux alentours de 18h que chacun commence à prendre ses dispositions en vue des quarts de nuit. Pourquoi si tôt ? Et bien parce que depuis notre départ en décembre 2022, nous avons vécu quelques quarts de nuit particulièrement éprouvants, et forts de ces expériences (traumatisantes) enrichissantes, chacun semble s’être astreint à un véritable rituel.
Avant toute chose, on vérifie le tableau de répartition des quarts qui figure sur la porte de notre cambuse. Il est vrai que depuis quelques semaines, on ne s'y retrouve plus ! Entre l'heure française (UTC+1) que l'on a conservé sur nos montres, l'heure locale des Canaries (UTC-1) qui s'affiche sur nos téléphones, et l'heure UTC indiquée par notre horloge de bord, il y a parfois quelques doutes et quelques loupés.
Ensuite, une fois la vérification faite, on observe parmi les équipiers deux tactiques bien distinctes pour s’occuper avant une prise de quart : ceux qui se lancent dans la préparation d'un plat de résistance (chaud, de préférence) et ceux qui se ruent dans leur cabine pour reprendre quelques forces.
Mais quelle que soit la stratégie choisie, c’est toujours une dizaine de minutes avant l’heure fatidique, que les choses sérieuses commencent…. Les alarmes des uns et des autres retentissent dans le bateau – là encore deux méthodes, ceux qui préfèrent le chant de coqs déchainés à celui de moineaux enjoués.
Puis, on part à la recherche de son équipement, car même si les conditions météorologiques sont plutôt favorables en ce moment, les nuits sont fraiches. Alors, on enfile des sous-couches, une salopette et une veste de quart, le sacro-saint gilet de sauvetage et une frontale (o-bli-ga-toire de nuit). L'attirail est lourd mais nécessaire. Les plus gourmands s’enfilent un dernier encas. Les retardataires font l’impasse. Et le quart peut alors commencer.
Entre nous, c’est toujours, dans ce laps de temps de préparation assez court, que vous pouvez assister à des scènes pour le moins amusantes…Apercevoir un équipier – pas tout à fait réveillé - sortant de sa cabine, vacillant sur ses jambes, les yeux mi-clos, cherchant à tâtons ses affaires, puis se débattant pendant plusieurs minutes alors qu’il tente d’enfiler sa salopette le tout en manquant de se retrouver à terre à chaque mouvement du bateau…cela n’a pas de prix !
Mais nul besoin de se ridiculiser pour gagner la sympathie de ses co-équipiers, il faut surtout faire en sorte d'arriver sur le pont avec quelques minutes d'avance. Cela permet d’échanger quelques anecdotes sur le déroulement du quart en plus d’obtenir des informations cruciales sur l’évolution des conditions météorologiques, des changements de voilure effectués, des bateaux en route de collision…
Si l’équipier que l’on s’apprête à remplacer, s’empresse de nous donner la barre, marmonne quelques encouragements avec peu d’entrain, puis se rue dans le carré pour s’enrouler dans une couette et s’endormir…il y a généralement peu de doutes, le quart n’a pas dû être facile. Alors on prend son mal en patience et on procède à la vérification de la check-list du chef de quart.
La check-list du chef de quart
Les repères visuels
Une fois la check-list vérifiée, on prend la barre en tentant de réhabituer ses yeux à la faible luminosité. Les repères visuels que nous utilisons de jour ne sont plus là. Alors il faut en trouver d’autres !
On peut s’aider du joli plafond étoilé et chercher dans les 88 constellations, les étoiles qui pourront nous servir de repères visuels pour garder le cap. Évidemment, si les nuages décident de pointer le bout de leur nez, alors là ce n’est plus la même partie de plaisir, les choses se corsent. La luminosité devient tout à coup si faible que l’on ne perçoit presque rien. Un soir, quelque part entre les Canaries et le Cap Vert, où l’on ne distinguait même plus la ligne d'horizon, un équipier s’est surpris en pensant voir au loin un cargo avancer à grande vitesse vers nous puis réaliser qu’il s’agissait en fait d’un avion.
On peut aussi s'aider de quelques repères auditifs qui peuvent nous conforter sur le bon fonctionnement du bateau. En écoutant le bruit des voiles ou le clapotis des vagues contre la coque du bateau.
On peut aussi se fier à des repères kinesthésiques, en essayant tout simplement de ressentir le glissement du bateau sur l’eau, sa gîte, sa vitesse.
Et puis de temps à autres, alors qu’on est pleinement concentré sur ce que l’on perçoit dans la nuit noire, ce que l’on entend ou ce que l’on ressent, on se fait parfois surprendre…par les sauts inattendus de poissons volants ou par les trainées lumineuses qui se dessinent tout à coup sur les flancs du bateau à cause du phytoplancton bioluminescent qui se retrouve dans son sillage.
Les binômes
Repères visuels, auditifs ou kinesthésiques… ce qui est certain c’est que les quarts de nuit sont tout de même plus plaisants à deux. Quatre yeux pour guetter l’horizon ou surveiller les instruments de bord (AIS, Radar…), deux paires de bras pour les réglages des voiles, deux cerveaux pour se questionner sur le routage…c’est quand même deux fois plus sécu’ ! Et puis, surtout, cela permet d’échanger. De jour comme de nuit, ces quarts se prêtent à de grandes discussions, avec plus ou moins de profondeur en fonction de l’heure de la journée... tant est si bien que philosopher pourrait presque devenir une activité à part entière sur Wije Blick II !
Lorsque le quart touche à sa fin, en une dizaine de minutes seulement, une fois la passation faite, la stratégie est cette fois-ci la même pour tous : retirer son attirail, inscrire une ligne dans le livre de bord… et partir se coucher.
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